Par Razia Tijani – Journaliste indépendante, collaboratrice de Proffac
On parle souvent de la pollution plastique comme d’un problème de ville, de rue sale, ou de caniveau bouché. Mais on oublie de dire que le plastique tue aussi la nature sauvage, les rivières les plus reculées, les forêts profondes et la faune qu’on croyait protégée par leur isolement. En Afrique centrale, le plastique ne s’arrête pas aux abords des marchés urbains. Il voyage, il infiltre les sols, les eaux, les plantes, les estomacs des animaux. Il envahit la vie.

Depuis plusieurs années, les équipes de terrain de Proffac (Protecteur de la Faune et de la Flore en Afrique Centrale) observent une progression alarmante des déchets plastiques dans des zones naturelles censées être épargnées : forêts communautaires, marécages, rivières secondaires, zones de nidification d’espèces rares. Dans certains endroits, des sachets se coincent dans les branchages au-dessus des rivières. Ailleurs, des fragments de plastique sont retrouvés dans les fèces d’animaux sauvages. Ce n’est pas une image. C’est un constat documenté.
Une menace invisible mais bien réelle
La plupart des déchets plastiques présents dans la nature ne viennent pas d’activités locales. Ils viennent de loin. De la ville, des marchés, des quartiers urbains où les emballages se multiplient sans qu’aucun système de collecte efficace n’existe. En RDC comme ailleurs en Afrique centrale, le plastique suit le chemin de l’eau : ruissellement, rivières, inondations. Et il finit là où il n’a rien à faire : dans les zones de biodiversité les plus sensibles.
Ce plastique ne se contente pas de flotter. Il étouffe, bloque les voies d’écoulement, s’accumule dans les zones humides, libère des microplastiques qui pénètrent les sols et les corps vivants. La pollution plastique, bien qu’invisible à l’œil nu dans ses formes les plus fines, est aujourd’hui une des premières causes de contamination de la chaîne alimentaire animale.
Des espèces endémiques en danger
Dans les réserves naturelles, les parcs communautaires, les couloirs écologiques du bassin du Congo, ce sont les espèces les plus vulnérables qui en paient le prix. Amphibiens, reptiles, oiseaux forestiers, poissons des eaux douces : leur habitat est altéré, leurs sources d’alimentation sont contaminées, leur reproduction est perturbée. Et plus insidieux encore : personne ne fait le lien immédiat avec le plastique.
Or, c’est bien cette pollution lente, continue, non traitée, qui accélère la pression sur des écosystèmes déjà fragilisés par le changement climatique, la déforestation, et les activités extractives.
L’irresponsabilité des producteurs
Pendant ce temps, les entreprises qui produisent et mettent sur le marché ces plastiques jetables — bouteilles d’eau, sachets d’emballage, contenants à usage unique — ne sont ni contraintes, ni inquiétées. Elles continuent à vendre, à faire du profit, pendant que la société civile, les ONG et les collectivités locales tentent de limiter les dégâts, souvent sans soutien institutionnel ou financier.
Ce modèle est économiquement et écologiquement absurde. Il est injuste. Il est insoutenable. Les coûts de la pollution ne sont pas assumés par ceux qui la génèrent, mais par la nature, par les citoyens, et par les générations futures.
Agir pour stopper l’hémorragie
Il est encore temps d’agir, mais l’action doit être claire, ferme, structurée. PROFFAC propose que les producteurs soient tenus responsables des plastiques qu’ils mettent sur le marché. Cela passe par une loi de responsabilité élargie des producteurs : obligation de financer la collecte, le tri, le recyclage, ou l’élimination durable de leurs déchets.
Cela passe aussi par l’interdiction progressive des plastiques non recyclables à usage unique, par le soutien aux alternatives locales (matériaux biodégradables, filières artisanales durables), et par l’éducation de la population sur les conséquences environnementales de nos choix de consommation.
Mais surtout, cela passe par une reconnaissance politique : la pollution plastique est une crise écologique majeure. Elle doit être traitée comme telle, et pas seulement comme une question de salubrité urbaine.
Une urgence pour la vie sauvage
Protéger la biodiversité d’Afrique centrale ne se résume pas à lutter contre le braconnage ou à planter des arbres. C’est aussi empêcher que nos cours d’eau deviennent des décharges plastiques. C’est garantir aux espèces menacées un territoire libre de toxines, d’obstacles et de pièges invisibles.
La pollution plastique est une guerre silencieuse. Et pour ceux qui vivent dans les forêts, les rivières, les lacs, elle est mortelle.